Droits et finances

Animation : Denis Voinot et Aymeric Potteau

Contexte

Sur le fond, le « risque financier » est apparu comme une thématique de recherche s’inscrivant dans le contexte du développement de politiques publiques de régulation financière et permettant de croiser les prismes d’analyse juridique. Son choix repose tout d’abord sur la mise en évidence, dans le cadre de l’actuelle crise économique, de comportements à risques de certains acteurs privés comme publics qui ont conduit au développement de politiques publiques européennes et nationales visant à mieux encadrer « le risque financier » au plan juridique.

Ensuite, si l'expression « risque financier » mobilise fortement les juristes de par sa dimension pathologique, la définition juridique de son contenu demeure délicate à tracer. Cette difficulté peut s'avérer problématique dès lors que les pouvoirs publics nationaux et supranationaux font preuve d'un volontarisme normatif visant à maîtriser le phénomène et ses conséquences possibles sur la société. Ces politiques se traduisent en effet par un renforcement des responsabilités, ce qui soulève en retour des questions sur l'effectivité et l'efficacité des réponses juridiques apportées mais aussi sur l'adéquation entre les nouvelles contraintes réglementaires et les droits et libertés fondamentaux des individus.

Questions scientifiques

Nos recherches seront conduites selon une démarche interdisciplinaire à deux niveaux : entre le droit public et le droit privé d'une part et le entre le Droit et la Gestion d'autre part.

Cela mobilisera les différentes équipes du CRD&P. Cela tient d'abord à la considération que les risques financiers concernent aujourd'hui tous les acteurs qu'ils soient privés (établissement de crédits, emprunteurs privés, etc.) ou publics (Communautés d'Etats, Etats, collectivités territoriales, etc.). Cela résulte ensuite du fait de l'interdépendance entre les risques publics (dettes souveraines) et les risques privés (dettes privées) ce qui constitue un facteur de risque important, la défaillance des uns pouvant entraîner celle des autres. Enfin, et de manière plus fondamentale, cela conduit à comparer les raisonnements juridiques du droit public et du droit privé quant à l'appréhension juridique du risque financier et analyser les influences possibles entre ces différentes branches du droit.

Cela tient au fait que le concept de « risques financiers » est traditionnellement utilisé dans le secteur de la Finance lato sensu (audit, finances, comptabilité). Toutefois la sollicitation de plus en plus forte du Droit pour couvrir ce type de risques conduit nécessairement à s'appuyer sur une démarche interdisciplinaire associant droit et gestion. Cette approche devrait permettre au CRD&P de renforcer ces liens avec le European Center for Corporate Control Studies de la Faculté de Finances, Banque, comptabilité de l'Université de Lille 2 en s'inscrivant ainsi dans l'axe stratégique Droit et Finances de l'établissement. Elle devrait aussi conduire au développement de recherches communes avec les universités de la région (françaises et belges). Cette coopération intra et hors établissement devrait se traduire concrètement par des réponses communes à des appels d'offres afin d'organiser des manifestations scientifiques et d'en permettre la publication, d'innover sur le plan juridique en développant par exemple des modules de formation interdisciplinaire sur la problématique du risque financier et ceci autour de deux sous-axes : la notion de risque financier ; l'appréhension juridique du risque financier.

 

 

La notion de risque financier ne semble pas simple à circonscrire. Semble cependant s’imposer une summa divisio permettant de distinguer le risque individuel du risque systémique, ce dernier ayant trait au danger d’une « rupture dans le fonctionnement des services financiers causé par la dégradation de tout ou partie du système financier et ayant un impact négatif sur l’économie réelle » (cf. rapport sur le risque systémique, La documentation française, avr. 2010, p. 10). Au-delà, la notion de risque financier peut bénéficier d’une définition plus ou moins étendue. 

Une acception large de la notion de risque financier

Au-delà, la notion de risque financier peut bénéficier d’une définition plus ou moins étendue. Dans une acception large, elle peut recouvrir l’ensemble des dangers qui auront un impact sur les finances d’une entité. Ainsi, dans sa recommandation sur les facteurs de risques, l’autorité des marchés financiers intègre les risques juridiques, industriels et environnementaux. En cas de réalisation, ils sont susceptibles d’avoir des conséquences financières.

Une conception plus restrictive du risque financier

Une conception plus restrictive du risque financier peut également être retenue. Elle peut consister tout d’abord à n’englober que les risques ayant un impact direct sur les finances. Ainsi, pour ne prendre que quelques exemples, y seraient intégrés les risques de crédit, de contrepartie, les risques opérationnels, les risques de liquidité,  les risques d'insolvabilité, les risques de marché incluant les risques de taux, de change, sur actions, sur matières premières etc. Ainsi défini, le risque financier est consubstantiel du système économique et n’a a priori pas vocation à être éradiqué, ce qui pose alors la question de l’appréhension du risque financier par le droit.

Les finances comme facteur de risque financier

Ne devrait par ailleurs pas être écartée l’hypothèse dans laquelle les finances en tant que telles sont susceptibles d’engendrer un risque comme l’illustre bien la thématique des conflits d’intérêts financiers (mode de gestion, de prévention, responsabilité pénale et civile). 

Le risque financier mobilisé à des fins de qualification juridique

Le risque financier peut au surplus être mobilisé à des fins de qualification juridique. C’est ainsi que le risque d’exploitation – généralement qualifié par la doctrine de « risque financier » - participe à la distinction entre délégation de service public (contrat à risques) et marché public (contrat à paiement public). De même encore le « risque de contrepartie » permet de fixer la limite d'exposition à une perte financière des organismes de placement collectif.

Si le droit apparaît d'abord comme un moyen d'encadrer le risque financier, il peut toutefois se révéler être un facteur de constitution de ce risque.

Dans sa dimension collective

Il l'est d'abord dans sa dimension collective à travers le risque systémique. L'expression a été largement utilisée et les pouvoirs publics se sont montrés récemment très attentifs à lutter contre ce type de risque, notamment dans le secteur bancaire (v. par ex. le règlement européen du 17 avril 2013 relatif aux fonds de capital-risque européen). La lutte contre le risque systémique appelle des réponses différentes selon que l'on souhaite l'imputer sur la collectivité publique dans son ensemble ou sur les seuls intérêts privés. Ces réponses, notamment celles de l'Union européenne, reposent assez largement sur des mécanismes visant à réduire la dépendance des Etats au risque systémique. Ce choix a pour contrepartie la mise en place d'autorités de résolution des crises avec une prise en charge du risque selon un ordre précis (actionnaires, créanciers, déposants, fonds de garantie, etc.) de nature à éviter l'accumulation des dettes souveraines. Or de tels choix sur le plan juridique nécessitent une attention particulière en raison de leur impact sur les intérêts en présence.

Dans sa mission individuelle

Il l'est ensuite dans sa mission individuelle avec toute une série de risques appelant des réponses particulières notamment dans le contexte de la mondialisation des échanges. C'est le cas par exemple du risque de liquidité dont le mode de traitement peut utiliser des techniques juridiques communes au droit privé et au droit public. On peut citer à titre d'illustration le mécanisme de la compensation de plus en plus utilisée dans les rapports privés et dans les rapports publics.  Il en est de même du risque d'insolvabilité qui appelle des choix techniques comme par exemple la liquidation immédiate d'actifs ou la prévention des difficultés des entreprises ou encore celui de l'efficacité des garanties ou du renforcement des responsabilités des établissements fournisseurs de crédit. Mais c'est surtout des choix de principes qui méritent une attention particulière. Se pose en particulier la question de savoir si le droit de ne pas payer ses dettes doit être généralisé tant en privé qu'en public ce qui en toile de fond conduit à se prononcer sur le caractère pro-débiteur ou pro-créancier des régimes visant à  encadrer les risques financiers (v. sur la relance de ce débat G. Plantin, D. Thesmar, J. Tirole, Les enjeux économiques du droit des faillites, Les notes du conseil d'analyse économique, n°7, juin 2013). Ce questionnement d'un droit de la défaillance qui serait pro-débiteur ou pro-créancier intéresse non seulement les juristes mais aussi les gestionnaires et les économistes. C'est pourquoi il est envisagé d'organiser un colloque international interdisciplinaire sur cette thématique en partenariat avec les chercheurs de la Faculté de Finances Banque Comptabilité (projet codirection, Pr. Frédéric LOBEZ et Denis VOINOT).

Une sollicitation du droit pour encadrer le financement participatif

Le droit peut aussi être sollicité pour encadrer de nouvelles techniques de financement. C'est le cas par exemple du  financement participatif, ou crowdfunding. Ce mode de financement vise à recueillir des apports financiers auprès d'une multitude de  particuliers en utilisant des plateformes électroniques. Initialement  tourné vers le financement d'entreprises innovantes ou de projets  « citoyens » peinant à trouver un soutien par les canaux classiques, le crowdfunding s'est développé de manière très significative ces dernières  années.

L'encadrement juridique de cette pratique demeure limité, bien que le récent projet de loi de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises présenté en Conseil des ministres le 4 septembre 2013 propose de le renforcer. Or, tant la nature et le statut des intermédiaires (plateformes en ligne) que la place du crowdfunding au regard des exigences du droit des marchés financiers mériteraient une étude complète. A cet égard, une réflexion commune de spécialistes de la finance et de juristes permettrait de mieux comprendre l'importance des valeurs défendues par les projets financés, le niveau d'information au public requis, autant que les déterminants du succès ou de l'échec d'une opération. Inaugurant l'interface interdisciplinaire Droit et Finances de l'Université Lille 2, un projet de recherche est actuellement à l'étude sur ce thème (dir. G. CHANTEPIE, CRD&P - A. SCHWIENBACHER, LSMRC).

Le Droit peut, paradoxalement, être un facteur de risque financier.

C'est d'abord le cas d'un cadre légal et réglementaire inadapté qui être un facteur de risque financier. A titre d'illustration concrète, et dans le cadre de l'interface Droit/finance, axe stratégique de l'Université Lille 2, une codirection de thèse (Frédéric LOBEZ - professeur de finances et Denis VOINOT - professeur de droit) est prévue sur un financement régional et portant sur le thème du droit comme déterminant du risque systémique. Doivent également être mentionnés, tout particulièrement en matière fiscale, les risques engendrés par l’instabilité du droit et les voies à emprunter pour les circonscrire.

C'est ensuite l'usage du droit qui peut conduire à accroître les risques. On pense aux montages juridiques permettant de rendre « légaux » des opérations financières à hauts risques. Ici encore la question du renforcement des responsabilités et la mise en place de contrôle se pose.