Axes de recherche 2020-2025

Les libertés et droits fondamentaux en droit social

La thématique des libertés et droits fondamentaux renvoie tout d’abord au champ du droit du travail. Même si le travailleur ne perd pas sa condition d’homme en pénétrant dans l’entreprise, l’exercice de ses droits et libertés fondamentaux peuvent entrer en conflit avec l’intérêt de l’entreprise. De façon classique, face à des intérêts contradictoires, le droit social opère des conciliations.

Mais cet axe renvoie aussi au champ, très large, du droit de la protection sociale.

Ce thème conduit d’abord à travailler sur la notion de « libertés et droits fondamentaux ». Que faut-il entendre par là ? Comme le souligne dans une interview récente le Président de la chambre sociale de la Cour de cassation, la jurisprudence n’a jamais définie cette notion malgré les enjeux  qui s’y attachent. En particulier, depuis les ordonnances du 22 septembre 2017, on sait que le plafonnement de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne s’applique pas en cas d’annulation du licenciement pour violation d’une liberté fondamentale. Le contentieux risque de se développer pour échapper au barème. On notera qu’une thèse vient d’être engagée par Aboubacar Daho sur « La réintégration et les droit fondamentaux du salarié ».

Pour mener à bien cette recherche, il importe de recenser les arrêts qui ont retenu cette notion pour construite une définition ou dégager des critères. Il convient aussi de mener un travail de recherche sur les textes constitutionnels et internationaux. Il existe en droit social, de nombreux textes (Charte sociale européenne, la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux, les conventions de l’OIT …) qui méritent d’être analysés.

Le thème retenu conduit ensuite à s’intéresser aux droits fondamentaux au sein de l’Union Européenne. Quels sont les droits reconnus aux travailleurs ? La question connaît un regain d’intérêt avec la proclamation le 17 novembre 2017, lors du sommet social européen de Göteborg, d’un socle européen des droits sociaux. De nouveaux principes y ont été ajoutés, comme le droit pour les parents et les personnes ayant des responsabilités familiales de bénéficier de congés adaptés et de formules de travail flexibles, ainsi que d’avoir accès à des services de garde. Sur la base de ce texte, la Commission européenne a lancé des initiatives importantes en matière sociale : proposition d’une directive relative à l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, proposition d’une directive sur la modernisation des règles applicables aux contrats de travail et proposition d’une directive sur l’accès à la protection sociale. Va-t-on assister au sein de l’Union européenne à un réel rééquilibrage entre le social et l’économique ? Par ailleurs, la loi votée en mars 2017 sur « le devoir de vigilance des sociétés mères », suite à l’accident du Rana Plaza en 2013, oblige les grandes entreprises à contrôler l’activité de leurs sous-traitants. Concrètement, elles devront s’assurer que les sociétés auxquelles elles passent commande respectent les droits humains (interdiction du travail des enfants, garantir la sécurité des salariés …)

Cet axe de recherche conduit aussi à s’intéresser à l’impact des technologies de l’information et de la communication sur les droits fondamentaux. On sait que de nombreux modes de surveillance (vidéo-surveillance, géolocalisation …) sont susceptibles de porter atteinte à la vie privée et que les évolutions techniques (puce électronique, robot) soulèvent toujours de nouvelles interrogations. Par ailleurs, à partir du 25 mai 2018, toutes les entreprises de l’Union européenne devront s’être conformées au règlement 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (règlement général sur la protection des données RGPD). Les implications pour les services RH sont considérables, comme par exemple la désignation obligatoire d’un délégué à la protection des données pour toutes les entreprises employant plus de 250 salariés ou encore la protection renforcée des travailleurs dans le traitement de leurs données personnelles par l’employeur. Il conviendra de réaliser des études approfondies des textes et mesurer la mise en œuvre pratique par les entreprises (négociation collective, consultation du comité social et économique …). Les technologies de l’information et de la communication bouleversent aussi en profondeur les conditions d’exercice de l’activité. On songe en particulier au développement du télétravail et des plateformes d’activité. Comment protéger les droits fondamentaux de ces travailleurs ? Va-t-on assister à une multiplication de « sous-emploi » ? Comment mesurer la charge de travail pour garantir le droit à la santé ? L’ubérisation soulève aussi la question fondamentale de la frontière entre l’indépendance et la subordination. Enfin, les techniques de recrutement mais aussi l’évaluation des salariés sont sous l’influence grandissante des TIC. Il peut être pertinent de les analyser pour comprendre comment est assuré le respect des droits fondamentaux.

L’étude des droits et libertés fondamentaux en droit social nous amène aussi sur le terrain de la protection sociale. Plusieurs questions peuvent être envisagées. Tout d’abord, qu’en est-il aujourd’hui du droit à la protection sociale ? Si le processus de généralisation de la sécurité sociale
progresse et que les dispositifs d’assistance complètent utilement les logiques assurantielles, l’accès aux droits (ou le non accès) et surtout le recours aux droits (et subséquemment le non-recours aux droits) sont des problématiques fondamentales, et d’une grande actualité, en droit de la protection sociale. Par ailleurs, si le Préambule de la Constitution affirme « le droit pour chacun d’obtenir des moyens convenables d’existence », comment le droit social prend-t-il en charge les personnes ayant une activité, généralement salariées, qui ont toutefois un revenu familial inférieur au seuil de pauvreté et sont dans l'incapacité d'accéder à certains droits fondamentaux ? Comment le droit social (au sens de droit du travail et droit de la protection sociale) limite-t-il l'existence de ces « travailleurs pauvres » ? Cette problématique renvoie, d’une manière plus générale, aux enjeux nombreux liés aux minima sociaux (RSA, etc.) et les projets de revenu universel.

Les discriminations en droit du travail

L’EREDS dispose d’une solide expertise dans ce domaine et il convient de continuer à développer celle-ci.

La liste des motifs de discrimination a été sensiblement allongée par les lois récentes (lois du 21 février 2014, du 24 juin 2016, du 18 novembre 2016, du 28 février 2017). Désormais, l’article L. 1132-1 du Code du travail vise aussi l’identité de genre, le lieu de résidence, la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue, de l’auteur de la discrimination, la perte d’autonomie ou son handicap, la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français et la domiciliation bancaire. Cette extension considérable des motifs prohibés interpelle : pourquoi ces motifs ? Quel est le but poursuivi par le législateur ? Pourquoi certains motifs (comme la fortune) mentionnés dans les textes internationaux ne sont pas repris par la France ? Chaque motif conduit à s’interroger sur la frontière entre le licite et l’illicite. Ainsi, que faut-il entendre par la « particulière vulnérabilité de la situation économique » dans un droit du travail où le contrat est fondé sur la subordination ? Les questions de preuve demeurent aujourd’hui un obstacle redoutable.

La question des discriminations doit aussi être envisagée sous un angle européen. Certains motifs sont prohibés par le Conseil de l’Europe (CEDH) et l’Union européenne (directives) et il peut être utile d’analyser la jurisprudence à ce niveau. Ainsi, les décisions rendues par Cour de justice de l’union européenne sont essentielles pour comprendre la notion de discrimination indirecte mais aussi les hypothèses où la distinction opérée est justifiée. Récemment, la CJUE a tracé la frontière entre le licite et l’illicite s’agissant de l’interdiction du port du foulard islamique en s’appuyant notamment sur l’idée d’accommodements raisonnables. Cette dernière notion est peu connue en droit français et il est important pour l’avenir d’en mesurer le sens. Il sera utile de regarder les expériences étrangères en s’appuyant en particulier sur l’Université de Laval au Québec qui entretient des liens étroits avec notre équipe.

Il convient également de s’intéresser à l’action en justice et en particulier à l’action de groupe qui a été étendue par la loi du 18 novembre 2016 aux litiges en matière de discrimination au travail.  La réflexion portera sur les règles spécifiques qui ont été prévues pour les discriminations et tentera de mesurer les conséquences réelles du nouveau. De façon plus générale, il sera utile de s’intéresser aux motifs de discrimination invoqués devant le juge et à la question de la stratégie judiciaire. Il est notamment assez fréquent qu’une discrimination multiple (race, genre, activités syndicales) soit invoquée sans que pour autant l’action est plus de chance de réussite. Par ailleurs,
face à de développement du contentieux, il est utile de comprendre les programmes de prévention
mis en place dans les entreprises (chartes éthiques et conventions collectives qui s’engagent à promouvoir la diversité).

La question des discriminations pourra également être étudiée au travers du droit de la protection sociale. Le contentieux de la sécurité sociale soulève en effet des problématiques liées aux discriminations selon la nationalité, selon le sexe ou encore selon la situation familiale et/ou matrimoniale. Le nouveau motif discriminatoire lié à la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique pourra trouver un éclairage pertinent dans l’étude du droit de la protection sociale et de la capacité, ou non, du système de protection sociale de réduire les inégalités.

Prévention et réparation des risques professionnels

Cet axe poursuivra ses travaux sur une thématique élargie de la prévention et de la réparation des risques professionnels afin de mieux intégrer la totalité de ses développements. Il est ainsi envisagé :

  • La continuation des études sur le maintien en emploi et les interférences avec le droit de la santé au travail
  • Le développement d’une thématique de recherche complémentaire et originale concernant la santé au travail des sapeurs-pompiers en lien avec l’Université de Laval (redynamisation de la convention Lille/Laval, constitution d’un groupe d’intérêt scientifique sur le modèle du CNRS pour fédérer des travaux de recherche autour de cette thématique entre les 2 universités)
  • D’examiner le rôle des différents acteurs en matière de prévention des risques professionnels en particulier les risques psychosociaux
  • D’examiner les enjeux des questions relatives à la prévention et la réparation des risques professionnels sous l’angle du droit de la protection sociale (la question de la reconnaissance du burnout au titre des maladies professionnelles en est un exemple frappant, etc.)
  • Poursuivre l’animation régionale et les regards croisés entre les acteurs de la santé au travail et du droit de la santé au travail
  • Enfin, la question de la réparation donne lieu à de nouvelles perspectives avec la réforme du droit du travail par les ordonnances « Macron » du 22 septembre 2017.

Le droit du travail au service de l’activité économique

  • Premier thème : Mondialisation, internationalisation, européanisation… les données économiques, les méthodes et concepts de l’analyse économique semblent dominer l’organisation sociale de l’économie planétaire (analyse économique du droit). An niveau du droit social (droit du travail), l’entreprise, acteur économique, est naturellement le théâtre de l’expression de courants de pensées nombreux parmi lesquels les théories de l’entreprise comme l’entreprise « activité » ou l’entreprise « organisation ». Les conventions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), les normes européennes, les règlements de l’Union Européenne, directives… postulent-ils une entreprise « activité » ? Le jeu de la libre circulation des biens et des personnes semblerait favoriser la piste d’une entreprise
    soumise par essence aux règles d’une « organisation » dont la première valeur serait de privilégier son activité économique. Contresens ? Convergence ? Nouvelle théorie possible permettant de comprendre le fonctionnement de l’entreprise du 21ème siècle ?

  • Deuxième thème : Alors que l’emploi demeure la priorité dans toutes les déclarations de politique générale des Premiers ministres de la 5ème république, les législations les plus récentes introduisent des données économiques significatives dans le Code du travail. Pour exemple, la loi El Khomri du 8 août 2016 qui pose la baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires pendant un, deux ou trois trimestres…pour déclencher des licenciements pour motif économique, ou le remplacement du comité d’entreprise et des délégués du personnel par le comité social et économique. L’idée de compétitivité semble être l’un des fils conducteurs des nouvelles normes, tant au niveau de l’entreprise qui doit se maintenir sur un marché de concurrence permanente, que sur son organisation interne. Le management actuel est-il orienté vers l’économique ou le social ? Quel est le type de management privilégié ? Quelle place pour les ressources humaines ou l’homme dans l’entreprise ?