Les modalités de production de la règle juridique ont été particulièrement bouleversées au cours de la période récente.

Un des phénomènes majeurs des évolutions juridiques contemporaines est l’intervention d’acteurs de plus en plus nombreux dans le cadre du processus de production de la règle juridique. Cette intervention d’acteurs multiples conduit à s’interroger sur la répartition des rôles de chacun, sur l’interprétation de la volonté d’un « jurislateur » qui se décompose en plusieurs entités et, lorsque les différents acteurs entretiennent un rapport hiérarchique spécifique, sur la conformité de ce qui a été décidé par les uns au regard de ce qui était décidé par les autres – et sur l’éventuelle sanction du défaut de conformité.

Le champ dans lequel ce phénomène de coproduction de la norme est le plus évident est le droit de l’Union européenne qui est aujourd’hui le fruit de processus souvent complexes d’élaboration, impliquant, avec des degrés d’intensité variable, des acteurs publics et parfois privés, et qui nécessite ensuite d’être mis en œuvre dans des Etats aux systèmes et traditions juridiques divers. Cette complexité s’oppose aux exigences ou impératifs de simplification qui ont cours tant au niveau national qu’européen. Ces modes nouveaux de production de la norme, qui se manifestent avec plus d’ampleur dans certains domaines (droit de la santé, nouvelles technologies, développement durable, droit économique) ainsi que, au bout de la chaîne, l’appréhension de ces évolutions et mécanismes par le juge de l’Union, constituent un vaste terrain de recherches. De fait, il semble naturel, eu égard à sa position géographique c'est-à-dire à la proximité du siège des institutions de l’Union européenne, que la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de l’Université Lille 2, soit reconnue comme un pôle d’excellence en matière de droit de l’Union européenne – domaine qui transcende la distinction du droit public et du droit privé. (v. déjà en ce sens, les journées d’étude « Vers une harmonisation des jurisprudences européenne et française », L'ERADP, mai 2009 ; « La légistique dans le système de l’Union Européenne : quelle nouvelle approche ? », ERDP, décembre 2009).

Mais le phénomène de coproduction de la norme n’est certes pas spécifique au droit de l’Union. Outre que la récurrente question de l’interprétation des textes par le juge – sa légitimité, ses techniques, son appréhension juridique - est également une illustration de ce phénomène, on note que le développement de préoccupations nouvelles passe par des modalités originales de production de la règle de droit. Il en va ainsi en particulier de la responsabilité sociale des entreprises et du développement des codes éthiques, au statut difficile à saisir et qui parfois se contentent de rappeler les termes de la règle de droit, parfois la complètent, parfois y sont contraires (dans ce domaine, v. la thèse, remarquée, d'un membre du LEREDS : « L’éthique et le rapport de travail »). Dans le même esprit l'ERADP s'intéresse également à la question au travers de l'étude des codes de gouvernance et de l'application du principe « comply or explain ».

Le phénomène de coproduction normative est également illustré par ce qu’il est coutume d’appeler « le droit dérivé de la LOLF » (loi organique relative aux lois de finances), les acteurs de sa mise en œuvre jouant un rôle déterminant dans sa production-même. Cette thématique peut au demeurant être également abordée du point de vue du droit constitutionnel « classique ». En ce sens, de jeunes chercheurs de l’ERDP et du Centre de Recherches en Droit constitutionnel de l’Université de Paris I, sous le patronage de l’Association française de Droit constitutionnel, se sont engagés dans un travail collectif sur le thème de la « Généalogie des techniques de participation du public ». Ces travaux ont donné lieu à un colloque au Sénat à la fin de l’année 2009.

De proche en proche, on est alors conduit à s’interroger sur la place de la volonté des destinataires de la norme dans la production de celle-ci, en particulier dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler la contractualisation de la production normative, domaine d’excellence de l’équipe René Demogue, mais aussi dans le cadre des consultations des administrés, phénomène remarquable en droit administratif (v. en part. le rôle de la Commission nationale du débat public). L’équipe René Demogue a d’ores et déjà construit, en collaboration avec le Centre d’histoire judiciaire, un projet de recherches relatif à la question à la communication du droit dont toute une partie est consacrée à cette question de la coproduction de la norme. Le point de départ de la réflexion est que les techniques récentes de communication permettent de nouer de nouveaux échanges entre les producteurs de droit et les destinataires des normes. Ces échanges ne sont plus à sens unique mais interactifs dans des délais rapides. Ils constituent un des aspects de la procéduralisation du droit. Pour établir avec précision l’impact des exigences et modes de communication dans le processus d’élaboration du droit, il semble nécessaire d’identifier nettement les acteurs impliqués dans l’élaboration du droit sans a priori sur les sources du droit en cause et d’analyser comment l’initiateur de la norme, lorsqu’il est une autorité publique, peut pousser les membres de la société civile à participer à l’élaboration de la norme et à l’inverse comment la société civile peut initier une norme et pousser l’autorité publique à produire une norme dans un domaine donné. La recherche constituera une contribution à l'identification de la notion de source du droit.

En outre, sera posée la question de la place de la doctrine académique dans la production de la norme. On assiste en effet actuellement, en particulier en droit des obligations mais aussi en droit des biens, et sur le plan européen comme interne, à un retour des codifications savantes. Se pose alors avec une acuité renouvelée la question de la place de la doctrine dans la production du droit. Cette question fera l'objet, outre de réflexions rétrospectives, principalement menées dans le cadre de l'équipe René Demogue (v. infra), d'interrogations sur le droit contemporain. On l’a dit, on assiste à une reviviscence de question de la place de la doctrine dans la production du droit – à laquelle n’est pas étrangère Christophe Jamin, fondateur du Centre René Demogue. Cette question devrait agréger de nombreux chercheurs du Centre – car tous les domaines peuvent être sous cet angle analysés. Par le projet de Code économique européen, piloté par Denis Voinot, le Centre de recherches entend précisément participer, à son humble mesure, à la coproduction de la norme européenne.

Une fois produite, la norme juridique fait l’objet d’une diffusion assurée tant par la mise en œuvre d’une communication institutionnelle que par le développement d’une communication non institutionnelle. La première concerne la loi et la jurisprudence ; la seconde, la doctrine.

Un décret du 7 août 2002 a créé un service public de diffusion du droit par l’Internet dont la manifestation la plus tangible est la création du site Legifrance qui assure une diffusion gratuite de la production juridique des différentes sources de droit, nationales et internationales. L’institutionnalisation de la communication électronique du droit se manifeste également par la mise à disposition sous forme électronique du Journal officiel de la République française. Ce développement d’une communication institutionnelle électronique est à l’origine d’une diffusion massive du droit dont on peut se demander si elle assure un accès effectif à la matière juridique et, dans l’affirmative, dont on peut rechercher les bénéficiaires. S’agissant de la jurisprudence, une attention particulière sera portée aux politiques communicationnelles des cours et tribunaux (on pense en particulier aux communiqués du Conseil d’Etat, de la Cour de cassation ou de la Cour européenne des droits de l'homme…). Un accent particulier sera également mis sur la jurisprudence constitutionnelle, notamment sa médiatisation et sa contestation (parfois au plus haut niveau de l’Etat).

La communication non institutionnelle devra par ailleurs être prise en compte. On se demandera notamment si le développement des blogs soit individuels soit gérés par les principales revues juridiques est de nature à modifier la perception et la diffusion du droit.

Ces interrogations constituent le 2nd volet du projet de recherche Supports et processus de communication du droit développé par le Centre René Demogue en collaboration avec le CHJ.

La question des conflits de normes n’est pas nouvelle. Simplement, elle a pris à l’époque contemporaine une importance remarquable qu’elle n’avait pas jusqu’alors : la multiplication des sources de droit, outre qu’elle conduit à l’apparition de phénomènes de coproduction de la norme, conduit évidemment à voir se développer les hypothèses de conflits de normes. Il n'est que de songer aux positions qu'ont dû adopter tant le Conseil constitutionnel que le Conseil d'Etat à propos de la conformité d’un texte national de transposition du droit de l'Union à la Constitution. Au demeurant, les conflits entre normes constitutionnelles et lois, souvent latents, sont appelés à être révélés sous l’effet de la réforme de la Constitution conduisant le Conseil constitutionnel à intervenir a posteriori. Et les conflits prendront un tour particulier avec la combinaison de l'exception d'inconventionnalité et de la question prioritaire de constitutionnalité

Une orientation de recherche est envisagée sur cette dernière question, qui permettrait de requérir l'expertise des constitutionnalistes en associant d'autres disciplines. Il serait par exemple possible en partant de cette thématique d'envisager un travail commun entre un constitutionnaliste et un privatiste spécialisé en droit des affaires, en droit des contrats, en droit pénal, etc. Dans la continuité,  un thème très proche mais pertinent en lui-même est envisagé : « le procès constitutionnel » où spécialistes de procédures administrative, civile, pénale pourraient apporter un savoir à la construction de l'objet dans la perspective justement de la question prioritaire de constitutionnalité. La thématique peut se décliner avec un thème sur « les gardiens des droits fondamentaux » (au regard de la controverse Kelsen-Carl Schmitt relative à la question du gardien de la Constitution) qui porte non seulement sur les autorités en charge de leur protection (juges mais pas seulement) mais aussi sur l'articulation de leurs fonctions dans un monde juridique de plus en plus imbriqué. Ces questions ont une résonance nouvelle au regard de l'introduction en France de la question prioritaire de constitutionnalité qui fait du Conseil constitutionnel un des maillons du procès.

Et ce phénomène des conflits de normes est démultiplié par l’instabilité de la règle – qui emporte elle-même multiplication des conflits dans le temps. Tous les domaines du droit semblent concernés mais on peut tout particulièrement s’étonner de voir les réformes se multiplier dans des domaines qui, longtemps, ont été caractérisés par une grande pérennité et qui, par conséquent, semblaient « par nature », devoir être assez stables : on songe au droit des personnes et de la famille, d’une part, au droit constitutionnel, d’autre part.

Or certains modes traditionnels de résolution des conflits de normes sont eux-mêmes en crise. Il en va en particulier ainsi de l’ordre public. Reconnaître à une règle le statut de règle d’ordre public pourrait emporter son caractère indérogeable si bien que tout conflit devrait se résoudre en sa faveur – en quoi la règle d’ordre public pourrait être considérée comme intrinsèquement une norme structurant le système juridique. Pourtant, le caractère bien au contraire perturbateur de l’ordre public est souvent dénoncé. Ainsi M. Malaurie soutient-il que, parce qu’il conduit à écarter une règle ou un acte juridique, « l’ordre public est un mécanisme perturbateur : il est un unruly horse, imprévisible». Élément structurant de l’ordre juridique ou élément perturbateur de l’ordre juridique ? L’ordre public n’est pas dépourvu d’ambigüités. Ce faisant, il invite à s’interroger sur un double plan. En premier lieu, celui de la compétence pour reconnaître le caractère d’ordre public d’une norme. Est-ce à l’auteur de la norme elle-même de procéder à une telle qualification ou bien ce pouvoir revient-il à celui qui est appelé à appliquer la règle d’ordre public ? En second lieu, celui des effets d’une telle reconnaissance sur les autres règles, c'est-à-dire sur les phénomènes d’éviction d’une norme par une norme d’ordre public ou au contraire de conciliation des normes entre elles. En somme, la notion d’ordre public est-elle la clé qui permettra de remettre de l’ordre dans le système juridique à l’heure de la profusion des normes ? De fait, cette thématique devrait conduire à s'interroger sur la polysémie de la notion d’ordre public qui n’a pas le même sens en droit privé et en droit public. Il conviendrait de mener une recherche collective sur la notion même d’ordre public dans notre système juridique et sur ses fonctions.