Axes de recherche 2015-2019 : les pratiques
Fort de l’expertise et de la visibilité acquise tant en Théorie du droit qu’en Droit des obligations, l’équipe René Demogue poursuivra ses travaux dans ces deux axes de spécialité. Pendant la période 2015-2020 les travaux seront centrés sur le thème commun des pratiques. Fort de premières réflexions menées sur les pratiques déloyales et eu égard à l’écho que ces travaux ont suscité, compte tenu aussi de la nécessité de déployer une approche plus théorique de ce thème, le choix a été fait d’en faire l’axe central de construction du projet Demogue. Cette thématique transversale permettra à la fois de développer des travaux à forte portée sociétale sur des questions fortement investies par l’Union européenne (notamment sur les pratiques déloyales développées dans certains secteurs d’activités) et de mener une approche théorique de l’influence des pratiques sur la rédaction et la mise en action de la norme juridique.
Théorie du droit
Le champ de l’argumentation juridique continuera à être investi en lien avec l’axe Argumenter, décider, agir de la MESHS. Seront questionnées les pratiques argumentatives tant juridiques que judicaires afin de mettre en lumière ses fonctions et contraintes.
Les pratiques argumentatives
Une recherche sur les pratiques argumentatives conduit à un décryptage des modèles de raisonnement mis en œuvre. Sera, en ce sens, poursuivi la collaboration avec les philosophes logiciens de l’Université Lille 3 et les logiciens et juristes de l’Université de Konstanz sur la modélisation du raisonnement juridique (ANR franco-allemande). Sera notamment développée une réflexion sur la preuve qui mêle raisonnement juridique, logique dynamique et approche argumentative de la logique.
Dans un contexte d’implication accrue du destinataire tant de la décision individuelle que de la norme générale dans le processus de production de celle-ci, l’argumentation devient dialogique. Devra être mesurée l’influence de cette interaction entre émetteur et récepteur de la norme sur les pratiques juridiques et judiciaires d’argumentation. Seront explorés tant la diversité des types d’arguments mobilisés – juridiques et extra juridiques – que les processus de légitimation mis en œuvre. Sera, par ailleurs, particulièrement développé un travail sur la motivation des décisions de justice. Dans un contexte propice au renforcement des échanges entre cours, se pose tout à la fois la question de l’influence des pratiques argumentatives usitées par les juges de common law sur celles des juges de civil law mais aussi, quant au fond, celle de la circulation des décisions de justice et des influences entre Cours de différents états. Devra être mesuré comment est intégré l’argument de droit comparé fondé sur les décisions de cours étrangères.
Alors que les études développées dans cet axe avaient jusqu’alors une dimension essentiellement historique, que ce soit à travers des monographies consacrées à la pensée de certains auteurs ayant marqué la science du droit (Demogue, Ripert) ou par des approches plus transversales, nous nous attacherons durant cette période 2015-2020 à développer une réflexion sur la doctrine contemporaine. A l’heure où la place des SHS dans la recherche nationale et internationale est interrogée, les pratiques doctrinales doivent être questionnées. Peut-on déceler une évolution sensible de celles-ci qui entraînerait une modification du rôle de la doctrine juridique ? Est-elle vouée à fournir une expertise juridique à des projets portés par d’autres champs disciplinaires ? La doctrine peut-elle être porteuse d’une innovation juridique de nature à la positionner dans la compétition nationale et internationale ?
Les pratiques rédactionnelle, visuelles, orales
L’arrivée, au sein de l’équipe, d’un enseignant-chercheur spécialiste de linguistique, joint à la présence d’autres membres travaillant déjà sur la légistique ainsi que sur la rédaction des contrats, nous amènent à développer un pôle de recherche en linguistique juridique. Seront ainsi investies les pratiques rédactionnelles des normes tant générales qu’individuelles mais aussi les formes verbales et visuelles d’expression de la norme et d’argumentation.
Ces recherches pourront s’appuyer sur un réseau international déjà constitué mais aussi permettre de développer des échanges avec des équipes de recherche régionales d’autres disciplines travaillant notamment sur l’image.
Droit des obligations
Les intercations entre pratique(s) et droit des contrats
Un effort particulier sera fait pour réinvestir le champ de la théorie générale du contrat. Les pratiques contractuelles seront appréhendées comme sources créatrices du droit des contrats et moteurs de son renouveau. Sera ainsi analysée la manière dont le droit favorise certaines pratiques (bonnes pratiques), en intègre d'autres (par ex. pratique de l’affiliation dans la distribution) ou, au contraire, les rejette (pratiques commerciales déloyales). Des études seront aussi conduites sur les facteurs conduisant à des pratiques contractuelles contestables. Il en est ainsi, par exemple, de l'ambigüité contractuelle, ou encore de la crainte entretenue du contractant.
Pratiques contractuelles et pratiques délictuelles
Les recherches en droit des obligations conduites au cours du plan 2008-2013 sur le thème des pratiques contractuelles et délictuelles seront poursuivies et développées. Elles porteront notamment sur les moyens de lutte contre les pratiques abusives dans une démarche préventive (audit de conformité, clauses-types, etc.) mais aussi curative (transaction, sanction, nature juridique des responsabilités, indemnisation, etc.). Cette thématique, en raison de sa forte dimension européenne et eu égard aux politiques publiques développées par la Commission européenne (par ex. livre vert de la Commission européenne sur les pratiques commerciales déloyales entre professionnels) s'inscrit aussi et toujours dans l'élaboration d'un code économique européen en particulier dans le domaine du droit des contrats (contrats de service, contrat de vente, etc.)
On limite souvent l'encadrement normatif des pratiques restrictives de concurrence au seul secteur de la distribution. Ce cantonnement ne rend pas objectivement compte de l’état du droit même s’il est incontestable que les pouvoirs publics, lors de leurs interventions successives, ont eu principalement pour cible le secteur de la distribution. En outre les développements récents et à venir du droit des pratiques restrictives de concurrence, et les tensions accrues dans les relations contractuelles, devraient conduire à une plus grande application de ses règles à d’autres secteurs d’activité (BTP, transport, etc.) en tenant compte des spécificités qui leur sont propres. Les recherches en ce domaine ont vocation à anticiper cette évolution et à en mesurer les incidences juridiques selon une approche sectorielle. Les objectifs seront de comparer l’impact réel du droit des pratiques restrictives de concurrence dans quatre secteurs d’activité : grande distribution, BTP, transport, pharmacie ; de dresser l’inventaire des pratiques déloyales sectorielles les plus courantes en analysant leurs causes apparentes et réelles, ainsi que leur impact afin d’y apporter des solutions. Il s'agira également d'apprécier les méthodes utilisées tant au plan national qu’au plan européen c’est-à-dire se demander si l’on doit édicter des normes générales ou des normes sectorielles et si l’on doit s’orienter vers un système administratif ou de régulation pour lutter contre ces pratiques. Cette recherche permettra d'associer les chercheurs qui, au sein de l'équipe, s'intéressent à différents secteurs d'activité. Cette thématique contribuera au renforcement des liens avec l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (IRJS) et l’Université de Leuven (KU Leuven).
L’analyse des pratiques contractuelles conduira à s'intéresser également à une analyse du rapprochement et des interactions entre contrats publics et contrats privés et notamment à la pratique des appels d'offres. Sous l'influence des directives européennes dans le secteur de la commande publique, des personnes morales de droit privé sont désormais tenus de respecter des procédures contraignantes de passation des marchés. Ces procédés par ailleurs utilisés volontairement par les entreprises privées pour sélectionnés des contractants professionnels intéressent la phase de formation du contrat. Les recherches conduites en ce domaine viseront notamment à apprécier la place laissée à la liberté contractuelle dans cette phase de pourparlers et à apprécier le rapprochement entre le droit des contrats privés et le droit des contrats publics.