Interactions normatives

Contexte

La multiplication des lieux de production des normes, la diversification des acteurs participant à leur élaboration ainsi que de la variabilité de leur force normative sont quelques-unes des manifestations de ce qui est souvent présenté comme une crise des normativités. Cette profusion de normes - de sources et de textures variées - rend nécessaire par conséquent un travail nouveau et approfondi sur l’articulation de ces normes.  Si, est souvent mise en exergue la concurrence croissante des normativités que ce mouvement induit, plaçant ainsi les différentes normes dans un rapport de rivalité, une approche renouvelée des rapports entre normes nous amène à privilégier une recherche des échanges, emprunts, connexions entre elles : c’est le thème des interactions normatives qui sera au cœur du projet de cet axe.

Questions scientifiques

L’évolution du modèle de régulation des sociétés amène à une redéfinition du statut du droit tant dans ses formes d’expression que ses modalités de création. Les mutations qui l’affectent témoignent de la réticence de plus en plus forte des individus et institutions (publiques et privées) à se soumettre à un modèle top down. Les faiblesses de la démocratie représentative, jointe à une polycentricité des lieux de décision, encouragent une promotion de la participation et un développement des normes volontaires. L’étude de ce mouvement amènera à tenter d’identifier et de dessiner les traits de cette nouvelle normativité.

La place prise par les normativités non-juridiques porte à reconsidérer le rapport dialectique du droit aux autres ordres normatifs. Cette thématique sera abordée en s’intéressant d’abord à la mobilisation par le droit de concepts non juridiques afin de voir comment le droit s’approprie une notion mais aussi le cadre référentiel de valeurs qui l’accompagne ou, au contraire, procède à une acculturation des notions qu’il importe. Pourront être examinés, les causes de ce renvoi à un autre champ disciplinaire et les modalités de cette articulation. Les bouleversements qui affectent la régulation des sociétés invitent ensuite à repenser l’articulation entre les normes juridiques et celles issues de différents champs normatifs. Si le droit ne veut pas être relégué à un rôle instrumental ou symbolique, il doit entretenir un dialogue avec ces normativités et se nourrir d’elles. Afin de dépasser une analyse fondée sur leur confrontation et concurrence, cette question sera envisagée sous l’angle de la réception par le droit de normes non juridiques, telles les normes techniques, normes déontologiques… Il s’agira donc d’envisager les causes et les modalités d’une réappropriation par le droit de normes nées hors de son champ.

Si la confrontation des normes peut être traitée sous l’angle des antinomies et de ses remèdes, elle peut aussi se penser de manière positive, par l’étude du rôle de l’interprétation dans la mise en cohérence des normes opposées ou en conflit. L’on réfléchira notamment, pour comprendre comment une norme est mobilisée pour déterminer le contenu normatif d’un énoncé juridique, à l’influence des normes européennes sur l’interprétation des normes internes ou des règles de droit commun sur l’interprétation des normes spéciales et inversement.

Les interactions normatives seront envisagées aussi dans le contexte de la société globalisée. Au-delà du constat de la diversification normative, ce sont les conditions d’émergence d’un droit global qui méritent aussi être questionnées et plus spécifiquement les processus d’uniformisation et de modélisation du droit. Par-delà l’universalisation des droits de l’homme ou le regain d’intérêt pour la lex mercatoria, la construction d’un droit mondial déterritorialisé (qui peut apparaître comme la manifestation la plus aboutie d’un droit global) connaît d’autres expressions. L’uniformisation des droits emprunte de multiples voies tant institutionnelles qu’informelles (lois-types, recommandations législatives, importations de concepts juridiques, circulation des analyses doctrinales, développement d’un enseignement transsystémique…). La mondialisation renvoie donc à un mouvement de fond, plus diffus, lié à la perméabilité des ordres juridiques, à la circulation des concepts et modèles normatifs.

Outre la nécessité de développer une recherche globale sur les facteurs et outils de convergence des droits, ce processus d’homogénéisation soulève finalement des questionnements sur ce droit en cours de construction et le risque de résurgence d’un colonialisme juridique, que nous tenterons d’appréhender dans ce nouveau projet.